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La ferme de Ken-Chan

  • Photo du rédacteur: Bérénice Gits
    Bérénice Gits
  • 10 sept.
  • 5 min de lecture

Dernière mise à jour : 13 sept.

Le réseau slow food, sur lequel je me suis appuyé pour construire cette odyssée, a un réseau très actif au Japon. Alors quand j'ai cherché une ferme dans laquelle passer quelques jours, j'ai demandé à Megumi, la gérante du réseau, qui, sans hésitation, m'a proposé d'aller dans la ferme de Ken-Chan, un producteur de grande culture, d'ail et d'oignon. Légèrement obstinée à vouloir en apprendre plus sur les légumes, et uniquement les légumes, je me suis finalement ravisée, en me disant qu'un contact slow food induisait forcément une agriculture raisonnée, et que toute découverte était bonne à prendre.



LA RENCONTRE


Après avoir traversé une grande partie de l'île en bus, j'arrive au point de rendez-vous donné par Ken-Chan. Un peu stressée, je n'avais aucune idée à quoi m'attendre : Megumi m'avait simplement fait une courte description de ses activités. Au côté de Ken-Chan, un homme d'une grande taille et au visage souriant, je vois une femme, bien plus petite. J'apprends rapidement que c'est Maki, la deuxième gérante de la ferme. Traducteur en main, je mets cette heure de voiture à profit pour en apprendre plus sur leur activité. Ken-Chan et Maki viennent tous deux de Tokyo. "Oh, we're not married!" me disent-ils rapidement en riant. Si tout poussait à le croire, ils étaient en fait anciennement collègues, en tant que commerciaux, dans une entreprise d'accessoires de sport. En désaccord avec leur patron, et le style de vie qu'ils mènent dans cette grande ville, ils partent pour ce qui leur paraît être le plus important dorénavant : produire de la nourriture.


Ken-Chan acquiert un terrain dans la région de Miyazaki, sur l'île de Kyushu, à l'ouest du Japon. S'il s'agit d'un des endroits les plus éloignés de Tokyo, c'est aussi l'un des plus préservés : l'immense forêt qui s'étend sur la région apporte à la terre et à l'eau tous les nutriments nécessaires pour cultiver. Ce n'est pas pour rien que les légumes de Miyazaki ont le renom d'être les meilleurs du Japon. Pour se former, il passe du temps avec des agriculteurs qui lui transmettent des techniques ancestrales. Techniques que j'aurai l'occasion d'appréhender, étant donné que le lendemain de mon arrivée est consacré à la plantation des semis de riz.



PLANTER DES SEMIS DE RIZ, UNE PRATIQUE EN VOIE D'EXTINCTION


Deux fois par an, Ken-Chan prépare des semis de riz pour la saison à venir. Il m'explique qu'au Japon, beaucoup d'agriculteurs ont été poussé à abandonner le riz pour d'autres cultures, plus simples d'entretient et bien souvent dédiées à l'exportation. Aujourd'hui, il y aurait presque une pénurie de riz dans le pays. Il fait partie du petit nombre d'agriculteurs qui continuent à préparer eux-mêmes leurs plants de riz. Son produit est une denrée rare, et il reçoit des commandes de tout le Japon. Parfois de particuliers, mais aussi beaucoup de magasins d'alimentation naturelle qui souhaitent meubler leurs étagères avec ses produits.


Cette pratique intrigue beaucoup, et ce matin, à la ferme de Ken-Chan, tout un petit groupe de curieux est réunit. Il y a ses voisins, mais aussi d'autres fermiers du coin, et certains de ses amis. Tous, souhaitent en savoir plus sur cette technique ancestrale. Alors Ken-Chan réparti les tâches et la danse commence. Une équipe reste à la ferme avec Maki et s'occupe de préparer les plaques alvéolées, qui contiennent les minuscules grains de riz.


De mon côté, je pars avec l'équipe qui va préparer le terrain. On ratisse le champ, et puis on appose des filets pour créer des rangées. Les premières plaques de semis arrivent, alors on décharge le camion pour les déposer sur un petit chariot, que l'on pourra pousser le long des rangées pour les distribuer. Il fait chaud, et les allers-retours du camion au champ les bras chargés commencent à me fatiguer. Pendant les trajets, il faut garder les plaques bien droites pour ne pas en perdre. C'est un moment décisif pour le reste de la saison et la tension se fait sentir. Le rythme est soutenu, pour pouvoir terminer avant la fin de la journée. Une fois disposées sur le sol, les plaques sont de nouveau recouvertes d'un filet, qu'il faut venir épingler dans le sol.


Toute l'équipe nous rejoint dans les champs pour pouvoir finir à temps. Fatigués mais satisfaits, on prend un moment pour observer le travail réalisé, et puis on submerge les rangées d'eau : dans quelques semaines, les semis seront transplantés dans les champs.



LA PRESSION DU TEMPS


Ken-Chan m'avait prévenu : je suis arrivée pendant un pic d'activité. Et pour cause, la moisson va bientôt commencer alors avant cela, il faut récolter le maximum d'orge, de blé, et d'ail. J'engloutis un bol de riz et une soupe miso en guise de petit-déjeuner et puis je suis Maki. On change de place Aki et Hana, leurs deux chèvres, qui apparemment, n'aiment pas la pluie. Et puis les activités sérieuses débutent. Je suis lâchée dans un champ d'orge. Un petit moissonneur batteuse fait un premier passage pour récolter le maximum de grains, et puis il faut ratisser le champ, pour regrouper les brins restants. S'en est suivi de nombreux allers-retours, à traverser les champs en Suzuki, pour délivrer les brins dans la machine qui extrait les grains. Cela nous aura bien pris la journée.


À 21 heures, assit en tailleur face à notre bol de riz, la fatigue prend le dessus sur la parole, et la discussion n'est pas très animée. Les 1,5 tonne récoltée dans la journée, nous aurons bien assommé. Le lendemain, à beau être un samedi, le stockage du grain n'attend pas. À cause du niveau élevé d'humidité, ils ont passé la nuit dans une machine qui sert à les sécher. Maintenant, il faut les trier et les répartir dans des sacs d'une dizaine de kilos. Certains seront rôtis, pour faire du thé, d'autre consommer en tant que céréales, ou encore utiliser comme ingrédient de base pour du miso, que Ken-Chan confectionne dans son labo.



La pluie est retardée, alors la course contre la monte continue. Mes trois dernières journées à la ferme seront consacrées à la récolte de l'ail. D'abord les déterrer, les laisser sécher sur les buttes de terre, puis les récolter le jour suivant, pour les entreposer sous la serre, et enfin les nettoyer : les plus beaux sont gardés pour être replantés la saison prochaine, les autres tiges sont coupées, et seront utilisées pour la transformation. Je suis impressionnée par la dextérité de son employé. Elle agit avec des gestes réguliers et rapides ; on en devine les heures de pratiques. Si je suis ravie de tout ce que j'ai appris pendant ces longues journées, mon corps un peu rouillé à cause du rythme effréné, n'est pas mécontent de ne pas avoir à y retourner le lendemain.


DES SAVEURS BIEN MERITEES


Je savoure mon dernier petit-déjeuner à la ferme. Comme tous les matins, je dévore un bol de soupe miso, un œuf avec de la sauce soja, apposé sur un bol de riz. Tout est produit à la ferme. Est-ce que je prends d'autant plus de plaisir à le manger, car j'ai maintenant conscience du travail acharné qu'il demande pour être produit ? C'est possible. Ken-Chan cultive du riz Kamenoo, une variété vieille de 120 ans, que l'on surnomme le "riz fantôme". J'ai rarement mangé un riz blanc aussi digeste, et à chaque repas, je dois mentalement me stopper pour ne pas me resservir plus de deux fois.


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C'est également le riz qu'utilise la voisine de Ken-Chan, qui, deux fois par semaine, ouvre la devanture de sa maison pour faire un petit restaurant. Chance, cela correspondait à mon dernier jour de travail. À l'heure du déjeuner, j'avais alors troqué sécateur et gants contre un plateau que la cuisinière m'avait tendu avec un grand sourire. Consciente de la beauté du produit, et de l'importance de le préserver, elle a d'ailleurs demandé à Ken-Chan de lui prêter un morceau de parcelle et de la former, qu'elle puisse elle aussi, faire pousser son propre riz. Car même si faire pousser une variété de riz oubliée, avec des méthodes de culture ancestrale est un travail titanesque, il en va s'en dire, que la puissance de son goût est la plus grande récompense de tous ces efforts.

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