Hidemi et la production de feuilles au Japon
- Bérénice Gits
- 12 sept.
- 3 min de lecture
Kamikatsu est l'une des première ville zéro déchet du Japon. De manière assez amusante, je me souviens avoir lu un article sur le sujet il y a quelques années, bien avant d'avoir pensé à ce voyage. Si je me retrouve ici, on s'en doute, c'est plus pour une découverte agricole. Quand j'avais annoncé à Ken-Chan, le gérant de la ferme de riz, que j'avais encore quelques jours sans programme défini entre sa ferme et Tokyo, il s'était empressé d'appeler Hidemi, une jeune agricultrice d'agrumes également membre du mouvement slow food. Cela en faisait une destination parfaite. Après un long périple mêlant train, bus puis mini van, je me retrouve au milieu d'une nature luxuriante. Kamikatsu est située au centre des montagnes, avec pour axe principal une seule grande rue qui longe une rivière. Le cadre est idyllique.

UNE VISION À PLUSIEURS CENTAINES D'ANNÉES
Après un week-end d'immersion dans la famille d'Hidemi, qui à deux "petits monstres" comme elle les appelle, direction ses champs. Ou plutôt, sa montagne. Ses grands-parents habitaient à Kamikatsu. Il y a 5 ans, elle quittait Kyoto, ville de charme, mais trop prisée selon elle, pour récupérer les terres agricoles de sa famille. Elle se met alors à suivre une formation en agriculture, puis monte une ferme d'agrumes et de feuilles, très prisées dans la cuisine japonaise pour décorer les assiettes.
Hidemi est d'une bonté extrême. En me faisant faire le tour de son terrain, elle m'explique comment, contre les avis de tout le monde, elle a coupé les cèdres anciennement plantés pour les remplacer par plus de 2500 arbres plus variés. Après la guerre au Japon, il y a eu un grand besoin de matière première pour reconstruire les maisons. Les rizières ont donc été délaissées contre les forêts artificielles de cèdre. Mais rapidement, des nouveaux matériaux moins chers sont venus les remplacer, laissant de nombreuses "forêts" à l'abandon. Cette monoculture cause plusieurs problèmes : les cèdres ne perdent jamais leurs feuilles et couvrent donc le sol d'ombre en permanence empêchant les animaux de la forêt de durablement s'y installer, à cause du manque de diversité, et donc de nourriture variée. Les sols en sont appauvris et l'eau n'y pénètre plus. Alors Hidemi veut changer tout ça en "créant une forêt qui perdurera après les humains".
UNE FERME DE FEUILLES
Hidemi a deux activités principales : elle fait pousser des agrumes qu'elle transforme parfois en confiture et en jus, et puis, elle vend des feuilles. Encore quelque chose dont j'ignorais l'existence. Comme beaucoup de savoir-faire au Japon, la cuisine est tout un art, autant pour le goût, que pour la vue. Bien souvent, les cuisiniers ont recours à des feuilles et des fleurs pour décorer les plats, envelopper les mets, et ainsi, apporter un aspect de saisonnalité aux assiettes. Au moment où je rencontre Hidemi, nous sommes en juin, et la feuille phare est celle de lotus.
Les feuilles de lotus poussent dans des marécages. Elle me tend une paire de bottes et des ciseaux ; j'enfile un k-way et des gants ; et elle m'attache autour de la taille une sorte de gros médaillon qui dégage de la fumée pour repousser les moustiques. Hidemi m'explique comment procéder pour récolter les feuilles et ajoute comme dernière consigne " Fais bien attention aux serpents à tête triangulaire, les autres, c'est ok" Voilà de quoi me rassurer.
Le ciel est sombre et l'eau déversée par la pluie s'accumule au centre des feuilles de lotus. J'entre péniblement dans le marécage. Le sol est vaseux et j'avance avec difficulté, ce qui fait beaucoup rire son père. Après quelques allers-retours peu glorieux entre le champ et la table de tris, Hidemi me dit de rester au poste de découpe, ce qui n'est pas pour me déplaire. Une fois ramassées, les feuilles sont rincées et la tige est coupée à ras, sinon, cela risque d'abîmer la prochaine feuille lorsqu'on les superposera. Le ciel se met à gronder. La récolte sera suffisante pour aujourd'hui.

Hidemi travaille avec une coopérative. Tous les jours, via une application, elle reçoit les demandes des clients, et répond à celles pour lesquelles elle peut fournir la quantité. Alors après la récolte on file dans son atelier pour préparer les commandes. On essuie délicatement les feuilles, on vérifie leur état : étant donné qu'elles sont destinées à de la décoration, leurs bordures et leur couleur doivent être impeccables. On les empile en petit tas et on les dépose à l'espace de récolte, non loin du centre de Kamikatsu. La coopérative se chargera du reste.
Je quitte Kamikatsu ravie d'avoir découvert le business des feuilles, un produit auquel je ne m'attendais pas, et qui pourtant, véhicule des valeurs en adéquation avec ce que je recherche dans l'Odyssée. Et si le beau était une manière de préserver le bien manger ?





















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